Améliorez votre productivité
La productivité est le rapport entre les résultats et les moyens mis en œuvre. Augmenter sa productivité c’est consacrer moins de moyens (et temps, notamment) pour un même résultat. Bien loin des caricatures des « Temps Modernes » ou de « l’abattage » dont souffrent encore aujourd’hui les méthodes rationnelles et scientifiques d’organisation du travail.
Si l’objectif est d’améliorer la rentabilité in fine, tous les moyens pour y parvenir ne sont pas pour autant vertueux. Tant s’en faut. Améliorer la rentabilité n’est pas une démarche qui justifie tous les renoncements ; la qualité, et notamment la qualité clinique, doit être égale ou supérieure à celle que le cabinet était capable de produire initialement. Égale parce qu’il n’est pas besoin de cours d’organisation pour travailler moins bien (il suffit d’être médiocre, cela suffit), supérieure parce que, mieux organisé donc plus serein, on se consacre entièrement à sa tâche. Comme on dit en sciences économiques, augmenter sa productivité signifie obtenir le même résultat, mais avec une moindre « combinaison des facteurs de production » (moins de temps, moins d’argent, moins d’intervenants). 70 % du chiffre d’affaires des cabinets dentaires sont constitués par le travail de l’équipe qui entoure le praticien (chirurgien-dentiste lui-même, assistantes, prothésistes), le « facteur de production » qu’il faut donc réduire en priorité, c’est le temps. Le seul ratio pertinent pour analyser la productivité du cabinet dentaire est le chiffre d’affaires divisé par le nombre d’heures (C.A/N.H). Cela suppose que pour améliorer ce ratio on peut soit augmenter le C.A soit baisser le N.H (ou agir sur les deux). Le chiffre d’affaires provient du nombre d’actes qu’il y a à faire dans la bouche multiplié par le prix. Il dépend donc de l’ambition de chacun à diagnostiquer ; dès qu’un praticien se formera (en paro par exemple), le nombre d’actes pour chaque patient augmentera. Plus il sera formé, plus il sera donc apte à diagnostiquer, à soigner et à facturer des soins. Une fois ce travail fait, le chiffre d’affaires peut être facilement doublé, mais si le nombre d’heures suit la même évolution, cela ne change en rien la productivité du cabinet (autant aurait été facturé en prenant un autre patient). Or, les cabinets dentaires présentent une particularité notable : le chiffre d’affaires (en haut de notre fraction) n’augmente pas de façon proportionnelle avec le temps : si le C.A double, le N.H ne double pas, car l’acte supplémentaire ne coûte presque rien (une fois qu’on est « dans la bouche », le deuxième ou le troisième composite ne coûte presque rien et est facturé au même prix que le premier). Augmenter le chiffre d’affaires ne suffit donc pas, il faut que le temps passé à produire ce chiffre d’affaires supplémentaire n’augmente pas de façon proportionnelle.
1. Travailler plus vite (espoir de gain : nul)
Travailler plus vite (et donc moins bien) est le réflexe naturel observé chez certains praticiens qui ont une tendance naturelle à « se mettre la pression ». Gagnant à court terme, celle solution se révèle perdante sur la durée. D’abord en perte de qualité, ensuite, la fatigue arrivant, en perte de productivité même. Vous le constatez régulièrement lors des premiers rendez-vous de nouveaux patients : les deux tiers des endos ne sont pas bien faits ! Techniquement tous les chirurgiens-dentistes diplômés sont pourtant parfaitement capables de réaliser ces actes, et la richesse de l’arsenal technique à leur disposition est censée mettre à l’abri d’erreurs grossières. L’état de la bouche des 200 à 300 nouveaux patients qui franchissent la porte de votre cabinet vous pousse néanmoins à reconnaître que nombre de praticiens ont fait le choix du « vite fait, mal fait ». Faire une endo sans prendre le soin d’aller jusqu’au bout de la racine, poser une prothèse en sous occlusion, faire un amalgame sans le mettre en forme… Il est facile (et moralement inacceptable) de faire plus vite et… beaucoup moins bien.
De la différence entre une pression de fond et une pression de sprint
Certains ne renoncent pas à qualité, mais se mettent (et mettent à leur équipe) une pression permanente : pendant que l’anesthésie prend, ils font un détartrage. Certains praticiens, obsédés par leur chronomètre interne, négligent leurs patients ; ils arrivent dans la salle de soin quand le patient est installé, travaillent généralement à deux fauteuils avec deux assistantes. Ils sacrifient souvent le rapport aux patients, l’écoute des gens et même la politesse au rendement. Si l’on s’accorde sur le principe que le praticien ne « gagne sa vie » que lorsque ses yeux et ses mains sont dans la bouche de son patient, n’oublions pas que la relation patient praticien est fondamentale et au centre des préoccupations de tous les cabinets performants. Gagner deux minutes par patients (en ne « perdant » pas de temps à s’occuper de lui, humainement) représente une économie dérisoire, néfaste pour l’image du cabinet ; le praticien, le patient et l’équipe ressentiront – tous – une pression non favorable à une saine relation de travail et de soins. Dans les premières années du travail à chaîne, les théoriciens de la productivité avaient pris le parti de chronométrer le temps qu’un ouvrier mettait à réaliser un acte donné, ils avaient alors établi – par multiplication – que l’ouvrier devait produire tant de pièces à la journée, à la semaine, au mois, à l’année. Là où le bât blesse, c’est que ce qu’ils pouvaient faire une fois en étant concentré et motivé, ils ne pouvaient pas le « tenir » toute leur carrière durant. Car, rapidement, cette pression se transforme en hypertension, mal de dos, céphalée, fatigue, burn-out… Mais cette fatigue est sournoise, car, les premiers temps, la satisfaction de faire plus vite peut euphoriser : sur quelques mois, on peut ressentir l’impression de « vivre intensément ». Le temps passe plus vite, les journées défilent et les résultats arrivent. Il faut garder à l’esprit que l’on s’abîme (l’esprit comme le corps) par le fait d’être tendu en permanence, il faut être d’autant plus vigilant parce que cette tension est masquée par ce fameux effet euphorisant. Observez la façon de travailler des entreprises « organisées » : a-t-on déjà vu un employé de l’aéronautique travailler vite, courir, être stressé ? Personne ne parle vite ni ne s’affole dans les chaînes de fast-food aux méthodes rigoureuses. Aucun pompier ou médecin du Samu ne perd son contrôle ou son calme. Car celui qui est organisé a confiance en son équipe, en ses protocoles, n’est pas angoissé par le temps, il est tranquille et serein. La maîtrise de l’organisation se traduit par une rassurante sérénité, une confiance totale dans les protocoles. Rappelons-nous la fable du lièvre et de la tortue de notre enfance, elle-même inspirée de la sagesse grecque millénaire : c’est en respectant son rythme propre que l’on est efficace. Donc, même en écartant le « faire moins bien » (que personne ne peut honnêtement revendiquer), travailler plus vite c’est sacrifier sa relation à son patient, ne pas s’économiser, augmenter sa productivité de seulement 10 à 20 %. Trois raisons pour rejeter définitivement cette voie vers l’augmentation de la productivité. Les cinq autres solutions pour augmenter sa productivité, sont quant à elle, vertueuses, car elles ne présentent aucun effet négatif…
2. Le groupement des actes (espoir de gain x 2 à 3)
L’acte supplémentaire en bouche (comme vu plus haut) ne prend pas beaucoup de temps. Des économies d’échelle peuvent donc être facilement réalisées en faisant plusieurs actes dans le même rendez-vous. Quelle que soit la durée du rendez-vous, il demandera cinq à sept minutes pour l’entrée du patient (nettoyer le fauteuil, accueillir le patient, se laver les mains, poser le champ, anesthésier…), et encore cinq à sept minutes pour le quitter (ranger les instruments, nettoyer le fauteuil, établir la feuille verte, donner ses instructions pour le prochain rendez-vous…). Ces 10 à 15 minutes sont incontournables, nécessaires pour nouer une relation avec son patient, mais ne sont pas « opérationnelles ». Plus le rendez-vous est long, plus la valeur relative de ses 15 minutes va se réduire (dans un rendez-vous de trois heures, c’est seulement 5 % de temps non honoré). Dans une journée classique qui compte 20 rendez-vous, c’est 20 fois 10 minutes non facturées, soit près de trois heures pendant lesquelles les plans de traitement n’avancent pas.
Aucun temps additionnel
Chez les médecins, l’extraction (seul acte qu’ils « partagent » avec les chirurgiens-dentistes) de la deuxième dent est moins cotée que celle de la première. En médecine, les actes « supplémentaires » sont dégressifs, car la Sécu a bien compris que les deuxièmes, troisièmes… actes sont moins coûteux (en matériel, en temps) que les premiers. Cette prise de conscience ne s’est pas encore étendue aux chirurgiens-dentistes. Il n’y a aucun temps additionnel pour la réalisation du deuxième ou du troisième composite, ni pour la prothèse de plus, et pourtant la facturation de l’acte supplémentaire ne baisse pas (encore). Le praticien organisé voulant améliorer sa productivité aura donc tout intérêt à allonger la durée de ses rendez-vous : le savoir-faire consiste ici à agencer le plan de traitement pour gagner en économie d’échelle. La limite de cette organisation est le surtraitement (on peut grouper les soins de quatre, cinq, six dents… mais pas plus s’il n’y a rien d’autre à faire dans la bouche du patient), l’autre limite est représentée par les moyens financiers du patient. Au-dessus de l’approche globale c’est du surtraitement (à proscrire évidemment, quoique rarement pratiqué) en dessous c’est du sous-traitement (à éviter également et bien plus fréquent que ce que l’on ne pense, ou dit !). Cliniquement, le groupement des actes se révèle tout à fait bénéfique (poser les prothèses en même temps pour régler l’occlusion, même teinte pour les composites…). Il peut faire augmenter la productivité du cabinet de 300 %.
3. La gestion de l’agenda (espoir de gain x 1, 5 à 1,7)
La peur du rendez-vous long (en cas d’absence du patient), les difficultés pour proposer et vendre des plans de traitement globaux rendent la plupart des praticiens récalcitrants à gérer leur agenda différemment qu’en rendez-vous courts. « S’il ne vient pas, au lieu de perdre une demi-heure, je perds trois heures » objectent-ils. Il est préférable, d’après eux, de perdre 30 euros plutôt que 600 euros. Seulement si le patient vient, ils ne gagnent que 30 euros. Il faudrait donc que deux tiers des patients ne viennent pas pour revenir à la situation initiale ! En gérant son agenda en rendez-vous longs, le praticien ne reçoit plus que trois à six patients quotidiennement (et non plus 15 à 20 patients), il pourra, à terme, soigner trois fois PLUS de patients qu’auparavant. On peut faire une analogie facile avec la gestion de l’agenda d’un peintre en bâtiment. Notre artisan a signé dix devis pour repeindre dix appartements. Le peintre mal organisé va se rendre tous les jours dans les dix appartements (pour calmer l’impatience de ses dix clients) ; tous les jours il perdra du temps au volant de sa fourgonnette pour aller d’un appartement à l’autre. À la fin de sa journée de travail, tous ses clients auront reçu sa visite, chacun d’entre eux l’aura vu, mais il n’aura fini aucun chantier, et chacun prendra du retard. Le peintre bien organisé choisira de ne se rendre que dans un seul des dix appartements (ne perdant pas de temps dans ses déplacements), au bout de deux jours, le premier sera fini, le premier client sera facturé et il pourra passer au second… À long terme il fera plus de chantiers. De même, gérer son agenda, pour un chirurgien-dentiste, demande de savoir gérer les retards et les annulations (mettre en place des outils pour les limiter le plus possible comme la confirmation des rendez-vous la veille), de savoir gérer les urgences, de savoir réévaluer les rendez-vous en cas de retard, etc. Et peut faire gagner 30 % de gain de productivité.
4. Les protocoles cliniques (espoir de gain x 1,3 à 1,4)
Il s’agit de la manière de travailler en bouche, cela consiste à choisir la mise en oeuvre des soins de la façon la plus rationnelle possible. Un localisateur d’apex, par exemple, peut faire gagner 20 % de temps à l’opérateur lors d’une endo, les systèmes pour limiter les saignements (pour éviter de laisser reposer la gencive une semaine), les rendez-vous pour la séance d’essayage de prothèse (pourquoi en faire un si dans 90 % il s’avère inutile ?), comment déposer une couronne en moins de deux minutes, etc. Se servir des améliorations des produits, matériels et techniques permet de gagner du temps pendant le soin. Et, faut-il encore le préciser, sans réduire la qualité de l’acte.
5. Les bacs et cassettes (espoir de gain x 1,2 à 1,3)
Imaginez-vous un chauffeur de taxi ouvrant plusieurs fois par jour la boîte à gants pour trouver le clignotant ? Non, bien sûr. C’est pourtant l’équivalent que pratiquent (subissent) la plupart des cabinets quand le praticien ouvre un tiroir pour chercher un instrument dont il a besoin pendant le soin. La mise en place des bacs et cassettes permet à la logistique d’arriver à l’opérateur et non pas l’inverse. Le praticien doit être au centre de l’organisation ; tout doit arriver à lui. Les bacs et cassettes font se déplacer « les tiroirs » vers l’opérateur. Et pour être encore plus efficace, au lieu de ranger dans les tiroirs les instruments par ressemblance ou collection, il sera profitable de les organiser en acte, en objectif de produit. La mise en place des Ba-Ca est d’autant plus indispensable si le praticien travaille en solo.
6. Le quatre mains (espoir de gain x 1,1 à 1,2)
Le quatre mains n’a d’intérêt que si l’assistante au fauteuil assure fait la jonction entre les bacs et cassettes et le praticien (par extension, c’est elle qui se charge de la logistique entièrement). Elle évite à l’opérateur de sortir ses yeux des 20 000 Lux du champ opératoire aux 500 Lux de la zone qui entoure le fauteuil. L’assistante ne doit pas pour autant ouvrir les tiroirs, elle doit présenter les instruments au praticien, qui ne doit plus que bouger les poignets pendant les soins. Ce dernier garde sa concentration intacte, les yeux et les doigts dans la bouche du patient. L’anticipation de l’assistante doit être parfaite ; un retard d’une seconde est assez agaçant pour que le praticien tende le bras pour se saisir lui-même de l’objet qu’il attendait. Il est nécessaire d’écrire les protocoles de scénariser chaque soin à deux pour mettre en place un quatre mains efficaces.
Le mot de la fin
Il existe donc cinq façons vertueuses d’améliorer la production du cabinet dentaire, chacune fera l’objet d’un article détaillé pour les mettre en place facilement. Tout le monde a entendu parler, souvent en mal, des trois dernières (trop compliquées à systématiser au cabinet, usines à gaz, chronophages, inutiles…). L’explication de cette « mauvaise réputation » tient dans le fait que les cinq conseils sont à mettre ne place dans l’ordre chronologique (d’abord le groupement des actes, puis la gestion de l’agenda suivi des protocoles, des bacs et cassettes et enfin du quatre mains). En effet, mettre en place le « quatre mains » dans un cabinet à 100 €/heure, augmentera la productivité de 10 %, ce qui en valeur absolue ne représente que 10 €. Et que dire de la pression de l’équipe « quatre mains » si celle-ci assume 20 rendez-vous par jour. En revanche, le « quatre mains » mis en place dans un cabinet à 300 € /heure (parce qu’il a déjà mis en place les rendez-vous longs, la gestion de l’agenda, les protocoles, les bacs et cassettes) entraînera là aussi une augmentation de 10 % , mais qui représentera 30 € /heure en valeur absolue. Avec une équipe « quatre mains » sereine puisqu’elle n’aura que quatre à six rendez-vous à assumer.
Organisation scientifique du travail
Dès le début de l’ère industrielle, des scientifiques se sont penchés sur la rationalisation du travail. L’histoire aura retenu Taylor (1856-1915) pour le travail de production de biens cherchant à définir « The One Best Way » (la meilleure façon de produire), permettant le rendement maximum qui formalisa sa méthode dans The Principles of Scientific Management (1911) et Henri Fayol (1841-1925) ingénieur français et l’un des précurseurs du management pour le travail administratif. Ces deux théoriciens ont jeté les bases de ce qui est encore appliqué aujourd’hui dans toutes les entreprises et passe par une analyse méthodique des gestes, attitudes, postures les moins fatigantes et les plus efficaces. Ces études s’étendent également aux matériel et fournitures dont le travailleur a besoin, le stockage, l’approvisionnement, les système d’accès… En 1964, Harold C. Kilpatrick déclinera ces principes à la dentisterie relayés en Europe par Paul Bleicher, Herluf Skovsgaard, Marc Apap, Robert Maccario…