Améliorer son rapport à l’argent
Qui n’a jamais vécu de malaise au moment de parler d’argent ? Qui n’a pas rêvé d’établir une relation thérapeutique et une relation commerciale satisfaisante pour les deux parties ? En quoi la relation d’argent gêne-t-elle le rapport avec les patients ? Conseils du psy.
“Pour cette couronne, il vous en coûtera 630 euros tout compris.”Choc du patient… Il tombe des nues. Manifestement, il ne s’attendait pas à payer quoi que ce soit. Ludovic ne travaille pourtant pas dans un dispensaire. La réaction de son patient le mène à penser que ce dernier ne possède pas l’argent nécessaire… Il propose de “faire quelque chose”, il sait qu’il va rogner sur ses honoraires, mais il prend son patient en pitié. La situation se répétant quotidiennement, Ludovic a parfois du mal à payer les échéances de ses remboursements d’emprunt. Il cherche toujours à “arranger” les gens, mais se vit paradoxalement comme un filou. Les sommes qu’il demande lui paraissent plus exorbitantes encore qu’à ses patients.
Plusieurs handicaps
Le dentiste cumule plusieurs handicaps face à l’argent, surtout s’il exerce en France. C’est une profession libérale, peu de gens en connaissent le fonctionnement, et c’est un métier d’aide, donc un métier où l’on attend des gens dévoués, disposés jour et nuit à soulager la souffrance des autres, gratuitement bien sûr. De plus, gagner de l’argent a, en France, une certaine connotation de malhonnêteté. Un commerçant est forcément suspect de vouloir gagner aux dépens de l’autre, et un métier d’aide ne doit pas rapporter. Comme si toute aide aux autres devait être bénévole. Si, en sus, vous trouvez du plaisir à accomplir votre travail, ce n’est plus considéré comme du travail, ce devrait être gratuit. “Je veux bien le faire, pire, j’éprouve du plaisir à le faire, donc je suis bénévole, donc je dois le faire bénévolement.”
Vous êtes devenu dentiste porté par une mission. Vous vouliez soigner les gens, apporter votre contribution au mieux-être de la population. Vous espériez bénéficier d’un certain statut social, vous pensiez être estimé, respecté… C’est un autre métier que vous découvrez qui inclut outre les soins, toute une dimension commerciale. Personne ne vous forme aux échanges d’argent. Personne ne vous a présenté les tenants et aboutissants économiques du métier.
À la tête d’une mini-entreprise
Si vous êtes auprès du patient, la dentisterie est tout de même un métier bien plus technique qu’on ne se l’imagine quand on est en première année de médecine. Vous vous retrouvez à la tête d’une mini-entreprise avec un ou plusieurs salariés, entouré de machines qu’il faut bien payer. Si une autre profession, somme toute pas si éloignée que cela, la médecine, est respectée, les mandarins hospitaliers ne sont pas suspectés de gagner de l’argent et si le patient ne rechigne pas à sortir ses sous pour une opération ou un accouchement, le dentiste, lui, doit essuyer toutes sortes de suspicions. Le piètre niveau de remboursement par la Sécurité sociale comparativement aux autres frais médicaux joue aussi son rôle, confirmant au public que ce qui concerne la santé est gratuit. Qui entend que les charges augmentent régulièrement, mais qu’aucune revalorisation du remboursement ne pointe le nez, qui se rend compte que la rémunération des dentistes baisse d’année en année ?
Aider les patients à se centrer sur eux-mêmes
Pour toutes ces raisons et sans doute d’autres encore, la profession de dentiste n’est pas aussi bien considérée que dans d’autres pays, comme en Italie par exemple, où le praticien dentaire jouit d’un vrai prestige et où les gens trouvent naturel de payer le prix. Clairement, en France, la plupart des gens sont prêts à mettre 300 euros dans un sac à main, nettement moins dans une dent… sauf si vous leur parlez. Il ne s’agit pas de “vendre” mais par votre contact, votre écoute et votre attention, de permettre à la personne de digérer l’information, de mesurer l’utilité de la dépense au regard de son budget, et donc de se représenter l’importance de cette décision. C’est aussi de son image d’elle-même dont il est question. Inutile de se montrer complice même involontaire de son manque d’estime d’elle-même. En écoutant et en parlant argent à vos patients, vous les aidez à se centrer sur eux-mêmes, sur la gestion de leur budget santé. En évacuant la question de l’argent, paradoxalement, vous leur offrez la possibilité de vous juger. S’ils ne sont pas centrés sur eux, il se centreront sur vous.
Regarder l’injustice en face
Interrogés, la plupart des Français jugent le dentiste cher… Difficile à vivre pour le praticien, car la confusion est fréquente, ce ne sont pas les soins qui sont dits chers, c’est souvent la personne même du praticien qui est attaquée. Le verdict est là : ce dentiste est cher, cet autre l’est moins. Notez que c’est le plus souvent sans comparaison réelle des soins pratiqués. Que le premier travaille avec des produits innovants, qu’il se montre attentif à la stérilisation, à l’innocuité des matériaux qu’il met en bouche comme à l’esthétique et que le second place en bouche les mêmes matériaux depuis vingt ans parce que c’est remboursé par la Sécu n’intervient guère dans l’analyse. Les prix sont vécus comme exorbitants, les plus informés comparent avec les prix pratiqués ailleurs et s’insurgent qu’une couronne coûte ici six fois ce qu’elle coûte à Madrid… Ils en déduisent que c’est forcément le dentiste qui s’en met plein les poches. Comment réagir face à cette injustice ? Oser la regarder en face est une première chose pour éviter de tomber dans le piège de la baisse de qualité des soins. En effet, au vu des lignes ci-dessus, il semblerait que pour être préféré des patients il vaille mieux se montrer le moins cher, quitte à ne faire que du travail de court terme. Le paradoxe peut aller jusqu’à croire que mieux vous soignez les gens, plus vous êtes suspecté de ne soigner que pour vous faire de l’argent et donc moins vous êtes aimé. Oui, c’est vrai, parfois il est possible qu’un patient vous quitte parce que vous voulez faire du bon travail. Et alors ? Manquez-vous vraiment de clients ? Ou est-ce la peur du rejet qui vous terrasse ? En réalité, vous risquez bien davantage de perdre un patient quand ce dernier réalisera que le soin que vous lui avez fait n’était pas le meilleur choix. A posteriori, il aura oublié la dimension financière et ne verra plus que les inconvénients pour sa santé.
Prendre en charge ses patients au-delà de leurs besoins
N’avez-vous jamais été tenté de placer dans la bouche d’un patient une prothèse peu onéreuse que vous ne mettriez pas dans votre propre bouche juste parce que vous craigniez qu’on vous accuse de vouloir “vendre votre marchandise” et de profiter de la souffrance d’autrui ?
Tous les praticiens ont donc à faire avec ce “terrain sociétal”. Cette réalité sociologique nécessite que nous la prenions en compte en informant et en en parlant davantage avec les patients. Mais pour en parler, mieux vaut être à l’aise. Là interviennent nos problématiques personnelles. Revenons à Ludovic. En fait, il ne sait pas si son patient possède ou non l’argent nécessaire. Il pose comme a priori que ce qu’il propose est trop cher, ne vérifie pas, et lui attribue une réaction négative. Ce mécanisme nommé projection, attribue à l’autre nos émotions. Bien sûr cette projection est alimentée par la moue du patient, mais le moindre haussement de sourcil va être interprété par Ludovic comme étant la preuve de ses certitudes. S’il vérifiait, il entendrait peut-être qu’effectivement cette somme dépasse le budget de la personne, mais il pourrait aussi apprendre que la personne est en train de calculer très rapidement la somme qu’elle doit virer d’un compte sur un autre, que c’est le coût d’un téléviseur à plasma… ou n’importe quoi d’autre. Une inférence trop rapide non seulement mène Ludovic à proposer un tarif préférentiel, mais prive le patient de sa liberté de choix. Proposer systématiquement une baisse des tarifs ne vous garantit pas la fidélité du client. Ludovic prend en charge ses patients au-delà de leurs besoins. Est-ce une résurgence de son enfance, quand il prenait en charge ses frères et sœurs plus jeunes ? Est-ce la manifestation de son manque de confiance en ses compétences ? Est-ce un interdit de gagner de l’argent par fidélité inconsciente à ses parents qui n’étaient pas riches ? Est-ce la crainte de perdre un client… peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir, ou simplement d’être rejeté ? Est-ce la peur du jugement ? Ludovic ne se sent pas confortable avec l’argent, il n’aime pas occuper la position de dominant dans la relation et se met donc systématiquement en position de dominé, en se dévalorisant, en dévaluant son travail.
Conclusion
C’est une réalité, les soins dentaires sont chers et mal remboursés, mais au-delà de cette constatation, il semblerait que certains praticiens ont plus de mal que d’autres à se faire payer. S’il se fait payer correctement, il se vit dans la peau de l’escroc qui tente de profiter de la vulnérabilité de sa victime et craint le jugement du patient. Dans les yeux de ce dernier, il lit alternativement : “je n’ai pas l’argent” ce qui le fait fondre de pitié, ou “vous êtes un filou”, ce qui le culpabilise. Encore de la projection sur le patient de sentiments et pensées qui ne lui appartiennent pas. Évidemment, ces projections ne sont pas opérées tout à fait par hasard, et il est vrai que le doute quant à l’honnêteté du dentiste peut effleurer un patient. Est-ce parce que les dentistes sont des escrocs ? Il en est, certainement, comme dans tout métier. Mais ce n’est certainement pas la majorité.
Quelques clés
- Ne pas penser à la place du patient. L’écouter.
- Affichez les principaux tarifs dans la salle d’attente. Quand vous affichez vos tarifs, les gens se disent que si vous les montrez ainsi à tous, c’est que vous n’avez pas à en rougir. Cela augmente leur confiance en vous.
- Pourquoi ne pas mettre à la disposition des patients un petit fascicule présentant les charges du praticien et amène le lecteur à prendre conscience du coût moyen horaire du plateau technique ?
- Présentez clairement le problème à résoudre et les options avec leurs conséquences. Énoncez les prix ainsi que le montant des remboursements sans baisser les yeux et osez donner votre avis. Le patient choisit, mais il ne peut choisir qu’en fonction des informations que vous lui donnez.
- Présentez un devis comparatif (seulement si vous êtes en accord avec les différentes options).
- Laissez le temps au patient de procéder toutes informations dans son cerveau avant de lui demander de choisir.
- Pendant ce temps, respirez et restez attentif au patient. Évitez de vous mettre à ranger vos instruments ou vos papiers. Lui “laisser le temps” ne signifie pas le laisser seul avec la décision. Il appréciera de pouvoir vous poser l’une ou l’autre question. Évitez de croire que ses questions sont une manière détournée de refuser. Ce sont souvent de vraies questions qui permettent à la personne de se faire son idée. Elle peut être en cours de processus d’acceptation.
- La personne réagit par la colère ? Restez à l’écoute. Cette colère n’est pas dirigée contre vous. C’est l’expression de son sentiment d’impuissance, de sa crainte peut-être de ne pouvoir payer de bons soins… Écoutez et aidez-le à mettre des mots sur cette colère. Il peut être en colère contre la Sécu. Vous aussi l’êtes souvent… Associez-vous à lui plutôt que de vous sentir attaqué par sa fureur.
- Si le stress monte, passez aux toilettes un instant. Inspirez, expirez, sentez le contact de vos pieds sur le sol et relisez le post-it que vous aurez collé sur le miroir : “J’ai le droit de gagner de l’argent”.
- Souvenez-vous qu’être fier de votre travail est essentiel. Ne sacrifiez pas votre estime de vous-même en pratiquant un soin avec lequel vous êtes en désaccord “pour faire plaisir” ou pour “ne pas perdre un patient”. Le respect de soi attire le respect d’autrui !
Personne ne vous forme aux échanges d’argent. En écoutant et en parlant argent à vos patients, vous les aidez à se centrer sur eux-mêmes
Idées reçues
Le dentiste, c’est cher !
Les gens vous imaginent rouler en BMW, propriétaire d’une superbe villa sur la côte et passer Noël aux Maldives (pourquoi pas, d’ailleurs…) avec une suspicion de profiter de leur souffrance pour vous enrichir. Riches, les dentistes ?
Oui, c’est vrai, un patient peut estimer que vous êtes un escroc… et alors ? L’êtes-vous ? non, alors ? Il lui manque de l’information. La plupart des gens sont salariés, ils n’imaginent pas ce que représente l’activité libérale. Ils ne pensent pas que vous devez payer votre assistante, votre ordinateur, le fauteuil sur lequel il s’assied… et même ceux de la salle d’attente. On devrait enseigner dès l’école la différence entre un salarié et un libéral, les préjugés envers les professions libérales seraient moins forts.
Faites un petit sondage parmi vos patients. La plupart trouveraient tout à fait décalé que vous osiez augmenter le prix de la consultation le samedi ou au-delà de 39 heures… Et, à combien estiment-ils le coût horaire de votre “plateau technique” hors même votre rémunération ? Vous verrez, la plupart n’ont jamais réfléchi au fait que vous vous êtes peut-être endetté pour acquérir votre fauteuil. Ils n’imaginent pas que vous devez payer les fraises, le fil, les pâtes, votre ordinateur, votre bureau, le mobilier dans la salle d’attente et tous vos stylos… Savent-ils que tout passage dans le stérilisateur vous coûte 5 euros ? Ils ne pensent pas au fait que vous payez vos outils de travail parce qu’à eux, tout est fourni par la société qui les emploie. Lorsqu’ils découvriront que vous avez déjà dépensé entre 100 et 120 euros en une heure sans encore être payé, ils vous considéreront autrement. Et vous-même, d’ailleurs, avez-vous fait le calcul ?
Profils
Ils ont des problèmes avec l’argent
Je n’aime pas “prendre de l’argent aux gens” dit François, comme s’il ne gagnait pas vraiment cet argent, comme s’il ne lui était pas dû. Il se vit presque comme un voleur. Pourtant, il sait bien que tout travail mérite salaire… Ses parents qui travaillaient dur le lui ont répété… mais justement. Ses parents gagnaient leur pain à la sueur de leur front, lui, il a plaisir à son métier. Est-ce encore un “travail” quand on aime ce que l’on fait ? Gérard, lui, est las. Il n’aime plus ce qu’il fait. Ou plutôt, il travaille automatiquement, il n’est plus fier de ce qu’il fait. Il rêvait de bouches resplendissantes grâce à lui, il se surprend à poser machinalement à ses patients des plombages ou des couronnes nickel chrome qu’il ne mettrait jamais dans sa propre bouche. Il lui arrive de ne pas stériliser ses instruments… De toute façon, il n’y a pas de contrôle. Loin de jouir de cette liberté, Gérard vit mal cette solitude face aux exigences d’un cabinet. Il a perdu l’estime de lui-même. Comment est-ce arrivé ? Au début, il était tout feu tout flamme, très informé des dernières nouveautés, il mettait un point d’honneur à proposer à ses patients ce qu’il y avait de mieux. Hélas, loin de l’en remercier, ces derniers semblaient le soupçonner de vouloir leur fourguer sa marchandise la plus chère pour gagner davantage. Échaudé, il ne fait même plus de devis comparatif des différentes options, certain que ce patient, comme les autres, choisira le moins cher. Marc non plus n’est pas à l’aise avec les questions d’argent. Si le patient paye la somme due sans difficulté, il se sent obligé de faire durer le soin ou de parler un peu plus longtemps comme s’il ne méritait pas cette somme. Il veut en donner un peu plus. Il a toujours le sentiment qu’il ne donne pas assez, que les gens ne vont pas l’apprécier, qu’ils vont trouver qu’il se fait exagérément payer. Parfois, il se sent comme un imposteur. Comme s’il extorquait de l’argent aux gens sans fournir le travail adéquat. Son leitmotiv est “je dois donner satisfaction”. On entend combien, au-delà de ses patients, il poursuit l’attitude qu’il a apprise à avoir dans son enfance. “Je ne mérite pas”, “Je dois donner satisfaction pour être aimé” sont des croyances qui s’enracinent dans nos relations à nos parents.